Il était une fois, un reporter à Bouaké

Article : Il était une fois, un reporter à Bouaké
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17 mai 2016

Il était une fois, un reporter à Bouaké

Mai 2015. Je décidais de me rendre pour la première fois à Bouaké, l’ex-capitale de la rébellion ivoirienne. Par le passé, je n’aurais jamais imaginé fouler le sol de cette ville. La simple évocation de son nom suscitait en moi une peur bleue. Adolescent, j’ai entendu dire que Bouaké servait d’abri aux assaillants, au point d’en devenir leur capitale. Adolescent, j’ai entendu dire que Bouaké était le cimetière de milliers de personnes, un no man’s land où personne ne pouvait mettre les pieds. Une zone où on buvait le sang humain. Bref, une zone où l’horreur, la méchanceté, le désordre régnaient naturellement.

Mais après la crise post-électorale de 2011, les appels se sont multipliés pour faire renaître la deuxième plus grande ville de Côte d’Ivoire. Les appels se sont multipliés pour donner une autre chance à la « rebelle » de réintégrer la République ivoirienne.

Deux sentiments me submergeaient en tant que journaliste. D’une part, le doute sur la volonté de Bouaké d’avancer. D’autre part, l’excitation, l’envie de découvrir pour la première une ville en plein coeur de l’actualité de mon pays pendant ces dernières décennies.

Le matin du 12 Mai 2015, ma décision est prise. Je pars pour Bouaké. Dans ma besace, un calepin, un stylo, un enregistreur et un appareil photo. Je saute dans le premier car de 06H. Dans le véhicule, c’est le calme plein. Dans mon esprit, mille et une questions se bousculent. Je suis vite épuisé par le trajet. La route entre Yamoussoukro et Bouaké, à la différence de l’axe Abidjan-Yamoussoukro, est une voie partiellement dégradée en plus d’être étroite. Au total, quatre accidents se sont produits durant le trajet. Des accidents des plus banals aux plus graves avec des morts, des hommes coincés sous les décombres du car renversé. Imprudence, indiscipline des chauffeurs, mauvais état de la route sont les causes principales de ces tragédies. Espérons que la construction annoncée de l’autoroute Yamoussoukro-Bouaké vienne résoudre ce problème épineux.

C’est au coucher du soleil, à 18h05, que je franchis le seuil de l’ex-capitale de la rébellion. « Bienvenue ! » me lance un panneau d’affichage d’une agence de téléphonie mobile. À l’entrée c’est une ville presque déserte. Le corridor s’ouvre sur un bataillon du détachement militaire de l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI). Ces soldats de la paix sont stationnés à leur poste, comme guettant le premier ennemi qui va s’annoncer. Comme pour dire, qui prépare la paix, prépare aussi la guerre. Ces deux termes sont intimement liés quoi qu’on dise.

Je poursuis ma balade…Dans les coins et recoins de Bouaké, plane encore l’ombre de la guerre de 2002. À cette époque, le pays était divisé en deux. D’une part, le Nord contrôlé par les rebelles. D’autre part le Sud contrôlé par le pouvoir d’Abidjan. Au début de la guerre, les populations du Nord ont applaudi car, selon elles, se sentant rejetées, écartées du partage du « gâteau ». Après plusieurs mois de farouches combats et affrontements avec les forces loyalistes, Bouaké va être baptisée  capitale des « rebelles ». Cependant de la lueur d’espoir des populations de voir changer les choses, c’est la désillusion qui va finir par prendre place au fil des temps. Plus d’infrastructures, plus d’argent, plus de financement. L’argent n’aime pas le bruit, surtout pas le bruit des armes. Mais les armes circulent à gogo à Bouaké. Ça ne rassure pas les populations, et encore moins les investisseurs. Ainsi Bouaké se vide peu à peu de son beau monde d’antan, un virage déjà amorcé avec les déplacés de guerre, laissant presque une ville fantôme. L’éducation n’existe presque pas. L’université de Bouaké est délocalisée à Abidjan pour sauver l’année académique.

2002 – 2015. Plus de 12 ans après, Bouaké est toujours à la recherche de ses repères. La nature a horreur du vide. l’Etat de droit étant inexistant, toute sorte d’anarchie a poussé comme des graines de maïs : les taxi-motos, le trafic de drogue, le commerce anarchique, les coupeurs de route…

Certes, Bouaké est rentrée dans la république depuis la fin de la crise de 2011. Elle a fait allégeance au nouveau président Alassane Ouattara. Mais 4 ans plus tard, les choses avancent…difficilement. L’habitude est une seconde nature. Plus d’une décennie dans l’anarchie, Bouaké a du mal à se défaire de ses vieux démons.

Arrivé au centre ville, on se croirait à Ouagoudou : des dizaines de milliers de motos ont poussé à la place de véhicules. La plupart servent de moyen de transport, moyennant une rémunération. D’où le nom de moto-taxis. Selon la mairie de Bouaké, on estime à 7 000 moto-taxis qui exercent dans la deuxième ville de Côte d’Ivoire. En effet, à vue d’oeil, on imagine combien ces conducteurs rendent service à cette partie du pays, autrefois coupé du reste du monde. Il n’existait pas de moyen de transport inter-urbain à cause de l’embargo d’Abidjan. Le seul moyen, c’était les motos. D’ailleurs, on peut s’en procurer à partir de 250 mille frs Cfa. En plus, la demande est conséquente : les populations ont besoin de se déplacer. L’alternative était là, à portée de main. Rien qu’en une journée, on pouvait se faire un bon paquet d’argent. 5000 F. Les moto-taxis, à la différence des taxis, ont la possibilité de parcourir les zones les plus hostiles, non bitumées. La population, comme toujours, a applaudi dès le début. Mais l’homme a horreur de la monotonie. Et les moto-taxis ne l’ont pas compris, malheureusement. Ainsi plus de 10 ans après leur entrée dans la capitale du Gbêkê, les populations en ont jusque là ! La cause ? Le nombre incalculable de morts et de blessés par la faute de ces conducteurs. Des conducteurs qui roulent sans le minimum vital de formation. Sans casque, sans permis de conduire, sans gilet d’uniforme, pourtant recommandés par la mairie. Une mairie qui affiche son incapacité à mettre de l’ordre, de peur de toucher les intouchables : à savoir les ex-combattants.

En effet, en 2011, le gouvernement a mis en place un programme pour la réinsertion des anciens combattants dans le tissu socioprofessionnel. Ainsi au cours des cérémonies d’envergure nationale, l’Autorité pour le Désarmement, la Démobilisation et la Réinsertion (ADDR) a procédé à la remise des dons constitués de matériels, de bourses susceptibles d’aider les ex-combattants à se prendre en charge. C’est ainsi que certains ont reçu des motos et des tricycles. Cependant nombreux ont fait de ce don un moyen de commerce, de transport dans Bouaké. Et sans formation de base, ils se sont jetés dans cette activité. Et depuis lors, les agressions se multiplient surtout tard dans la nuit, à des heures avancées. L’on n’hésite pas à mettre sur le banc des accusés ces anciens combattants dont certains détiennent encore des armes, ou encore obéissent à leur vice d’antan.

A côté de ce phénomène de taxi-motos, s’est développé également une nuisance sonore à outrance. En effet, Bouaké est dominée par l’ethnie Malinké à majorité musulmane. Le jeudi est « décrété » jour de mariage. Si le mariage en lui-même est une bonne chose, mais le tapage autour laisse les passants pantois. Dès 14h, la ville est en alerte maximale ! Partout sur les grandes artères, du quartier Sokoura, en passant par Dar es salam et Kôkô, les klaxons des taxi-motos, parfois à contre sens, retentissent. Un farouche combat s’impose entre piétons, véhicules et motos. C’est la débandade ! Quand on accompagne la nouvelle mariée chez son époux, personne n’a droit de rester de marbre. Qu’on le veuille ou pas, on sera interpellé d’une façon ou d’une autre. Ici c’est Bouaké, bienvenue à bord !…

Lama

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Commentaires

ouattara mamadou
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je ne peux qu'être sur la voie de la motivation lorsque je décide avec foi de sauver une societé qui ne se proccupe pas d'elle même. joie cas des talents comme vous prennent la plume et trace sur la feuille ce que le monde entier ignore des réalités de nos tropiques, des conditions dans lesquelles nous jeunes Africains par ricichet Ivoiriens acceptons de vivre. comme vous, j'ai sur les lèvres un rêve à accomplir, une mission à laquelle ne point déroger. comme vous, je suis passionné de l'écriture, au délà de l'écriture journalistique que m'offrent les études universitaire, je suis ivre de la poesie, du roman et de tout ce qui concerne la communication et la linguistique. Ma lecture de votre reportage sur la ville de bouaké est à point nommé mon désir de réaliser un projet social pour ladite ville, ma ville d'accueil, la ville de mes études universitaire, la ville pour laquelle j'ai tant de projets. vous pourrez retrouver mes articles sur "citoyen actif" (facebook, tweeter...). Merci ! Bonjour !