Les 3 A de Daloa, un modèle de développement communautaire

Article : Les 3 A de Daloa, un modèle de développement communautaire
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1 novembre 2016

Les 3 A de Daloa, un modèle de développement communautaire

L’Amicale des Anciens de l’Aeemci (3A) n’est plus à présenter dans la sphère communautaire en Côte d’Ivoire. Par ses actions, elle contribue au développement communautaire dans notre pays. Créée en 1995, les 3 A font parler d’elles de la bonne manière. Dans cette perspective, elle a mis en place des représentations locales dans les différentes régions du pays afin d’assurer une proximité avec les populations, les communautés de base.

Dans le Haut Sassandra, au centre ouest de la Côte d’Ivoire, plus précisément à Daloa, la RLS (représentation locale spécialisée) se démarque par ses actions sur le terrain. Hôpital islamique, micro-finance Al Barakat, IFED (Institut de Formation et d’Education de Daloa), cellule Zakat et actions sociales, ce sont entre autres les réalisations des 3 A dans la capitale du Haut Sassandra. Comment cela est-il rendu possible ? D’où provient le financement ? Comment tout a commencé ? Qui sont les précurseurs de ce vaste projet ?

Le grin « Ibadou Rahamane », là où tout a commencé

Le "grin" est un espace public informel
Le « grin » est un espace public informel

Daloa. Quartier Gbeulville. Dans le grin « Ibadou Rahamane ». Chaque vendredi soir entre 14h et 20h, une vingtaine de personnes se réunissent. Fonctionnaires, enseignants, couturiers, menuisier, toutes les catégories socioprofessionnelles se retrouvent dans cet espace public informel pour échanger. Contrairement aux autres « grins », ici la causerie est teintée de religion.

En effet, autour d’un thé, les hommes discutent, bavardent, échangent sur des sujets islamiques en vue d’être éclairé sur certains aspects touchant à leur foi. Cet endroit servait d’abord d’atelier de couture appartenant à un certain Bakoroba Toungara. Nous sommes en 1985. Vu l’affluence, l’atelier de couture se transforme en un lieu de retrouvailles. Mieux, l’espace sera agrandi pour accueillir d’avantage de personnes. La solidarité va ainsi naitre entre les membres. Chaque mois de Ramadan, le repas de la rupture du jeûne est pris ensemble. On immole une bête afin de remercier le Seigneur Tout Puissant.

Un jour, au cours des échanges, ils décident de créer une tontine en vue de soutenir les membres dans le besoin. Les cotisations s’élèvent à 10 000F. Baptême, mariage, décès, tous les événements heureux comme malheureux sont pris en charge. Vu l’engouement, ce premier projet connait un franc succès. L’organisation du « grin » se met en branle. On choisit un président à la faveur d’une Assemblée Générale. Le président est élu pour un mandat de deux (02) ans renouvelable une fois. L’actuel dirigeant est Diabagaté Ladji Baba, enseignant de mathématiques.

L’Institut de Formation et d’Education de Daloa (IFED), la renaissance

Ibadou Rahamane (c’est le nom du grin) s’est bâti autour de la confiance. On décide alors d’aller plus loin en ouvrant une école pour inculquer les valeurs morales à la jeunesse de Daloa. Nous sommes maintenant aux années 2000.

Chaque membre fondateur  (13 au total) contribue à hauteur de 50 000F par mois pour le financement de l’Institut de Formation et d’Education de Daloa (IFED). En 2006, le collège accueille ses premiers élèves. Et depuis 2015, il bénéficie de la subvention de l’Etat de Côte d’Ivoire qui y oriente des élèves.  10 ans d’existence (2006-2016), beaucoup d’eau ont coulé sous le pont. « Nos difficultés ont commencé à la 3 année scolaire. On n’avait que 10 élèves et une seule salle de classe (4è). On continuait de payer les enseignants vacataires, en plus du personnel (une secrétaire et un éducateur). A partir de la 4è année, et grâce aux idées réformatrices du frère Coulibaly Adama PCA de la micro-finance Al Barakat, nous sommes sortis la tête de l’eau. A ce jour, nous sommes à 638 élèves inscris, et nous comptons 10 salles de classe » a déclaré el Hadj Diabagaté Ladji Baba, PCA de l’IFED.

Micro-finance Al Barakat, l’alternative

La micro finance "Al Barakat" est située au quartier Texas à Daloa
La micro finance « Al Barakat » est située au quartier Texas à Daloa

Le grin « Ibadou Rahamane » ne s’arrête pas là. Après une expérience douloureuse vécue par un membre, on décide de monter le projet de la microfinance islamique dénommée Al Barakat. « Nous sommes en 2007. La Coordination des Enseignants du Secondaire (CESCI) entre en grève. Et nous faisons l’objet de suspension de salaires de deux (02 mois). Cela coïncide avec la période de la tabaski.

Je suis à l’école quand un frère m’aborde pour m’annoncer qu’une structure financière de la place permet aux musulmans de faire des prêts pour acheter des moutons à 60 000F. Prêts qu’ils vont rembourser à 70 000F. Dérangé par cette offre puisque l’Islam interdit l’intérêt (Riba), je décidai alors qu’il était temps de proposer une alternative à nos frères et sœurs. C’est ça le déclic : la recherche d’une alternative ! » avoue Coulibaly Adama, PCA de Al Barakat.

L’idée est murie. Le même système de la tontine est employé. Une trentaine de personnes adhère au projet. En 22 mois, chaque membre a réuni la somme de 222 000F. Le lancement en 2010 s’effectue avec un capital de 70 millions F Cfa.

Al Barakat accorde des prêts quel que ce soit le montant. Des prêts de tout genre. En espèce comme en nature. M. Yéo, instituteur, a pris un prêt de 500 000 F pour achever sa maison familiale. Père de 4 enfants, il payait le loyer à hauteur de 35 000F par mois. Grâce à la micro-finance, il dort depuis quelques mois sous son propre toit. Il n’est pas le seul à avoir bénéficié des prestations d’Al Barakat. Coulibaly Moussa, la cinquantaine révolue, est un monstre du transport à Daloa. Evoluant à son propre compte, il est à son 4è prêt auprès de la micro-finance islamique. Les montants varient entre 4 millions et 6 millions F Cfa. Toutefois, il souhaite que les prêts soient revus à la hausse en fonction de la taille de l’entreprise des souscripteurs.

Le premier hôpital islamique en Côte d’Ivoire

Vu d'ensemble de l'hôpital islamique achevé à 90%
Vu d’ensemble de l’hôpital islamique achevé à 90%

Par ailleurs, l’aventure du grin « Ibadou Rahamane » ne s’arrête pas là. La tête dans les nuages. Les pieds sur terre. Toujours autour du thé, l’idée de construction d’un hôpital islamique germe dans les esprits. « On s’est rendu compte que la plupart des patients des centres de santé sont nos frères et sœurs sont de confession musulmane. Il est inconcevable que les musulmans n’aient pas d’infrastructures sanitaires. C’est pourquoi nous avons décidé d’en construire une qui va, sans nul doute, servir de projet pilote », estime Coulibaly Adama, PCA de l’hôpital islamique. Ainsi en 2011, les travaux commencent. L’espace est offert gracieusement par un homme qui a requis l’anonymat. Le centre est bâti sur une superficie de 4 000 m². En cinq (05) ans, tous les bâtiments sont sortis de terre ; mosquée, salles d’attente, d’accouchement, d’opération, les laboratoires, garderies etc. Le chantier est presque terminé à 90%. Coût global : 160 000 000 F Cfa. En revanche, reste l’équipement du centre sanitaire qui nécessite l’appui des cadres musulmans. « Nous allons présenter à nos frères professionnels de la Santé nos stratégies en matière d’équipement. Nous allons également ouvrir le capital de l’hôpital à tout le monde afin de mobiliser davantage de ressources financières. Nous lançons également l’appel à nos frères de la diaspora à travers la radio en ligne ‘‘Samatiguila’’ pour que tout le monde s’implique dans la construction de ce premier hôpital islamique en Côte d’Ivoire » a exhorté M. Coulibaly.

Cellule Zakat et Actions sociales, ou la Maison du social

Cellule Zakat & Actions sociales
Cellule Zakat & Actions sociales

Chemin faisant, le « grin » Ibadou Rahamane fait face à une autre problématique : celle de la prise en charge des personnes vulnérables à Daloa.

En mars 2011, on procède au lancement de la Cellule Zakat et Actions Sociales (CEZAS). L’institution fonctionne grâce aux Zakats (obligation annuelle), aux aumônes, aux dons et legs. A ce jour, elle comptabilise plus de quatre (04) millions F Cfa. La Cezas traite différents cas en fonction du besoin. « Je m’appelle Cissé Abdoul Djalil, livreur de pains. Je voulais agrandir mon commerce. J’ai donc sollicité l’aide de la Cezas qui n’a pas hésité un seul instant. Elle m’a offert 45 000 F Cfa pour l’achat de box à pains. Grâce à ce coup de main, je suis aujourd’hui à mon 6è box » dit-il reconnaissant.

De l’hôpital islamique à la micro-finance Al Barakat, en passant par l’Institut de Formation et d’Education de Daloa (IFED) et la Cellule Zakat et Actions Sociales (CEZAS), les 3 A de Daloa montrent l’exemple à toute la communauté musulmane nationale qu’il faut joindre l’acte à la parole. En un mot, poser des actions concrètes, susceptibles de propulser le « changement qualitatif ».

Lama

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