En Côte d’Ivoire, les ex-combattants de Bouaké sont laissés pour compte

Article : En Côte d’Ivoire, les ex-combattants de Bouaké sont laissés pour compte
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7 juillet 2017

En Côte d’Ivoire, les ex-combattants de Bouaké sont laissés pour compte

Les récents événements survenus à Bouaké, ex-capitale de la rébellion ivoirienne, entretiennent doute et espoir au sein de la population quant au sort réservé aux anciens combattants. 

Bouaké sort peu à peu de sa léthargie depuis la fin de la crise en 2011. La ville qui servait de base aux « forces nouvelles » est rentrée effectivement dans la république depuis 2011, après la chute et l’arrestation de Laurent Gbagbo.

Depuis 2002, Bouaké, à elle seule, revendique près de 20 000 ex-combattants sur un total national estimé à 74 000. Que deviennent ces anciens combattants ? Ont-ils bénéficié des programmes de l’ADDR (Autorité pour le Désarmement, la Démobilisation et la Réinsertion) ? Quel est le suivi des différents projets ? Ceux-ci sont-ils adaptés aux besoins ? Y-a-t-il des risques de déstabilisation par les frustrés à l’approche des élections présidentielles d’octobre prochain ?

Les oubliés de la guerre

Vendredi 15 mai 2015. 10 h passées de 35 minutes. Sur un taxi-moto (principal moyen de transport à Bouaké), nous allons à la rencontre de Ouedraogo Souleymane, président des blessés de guerre de Bouaké. Il habite dans un bidonville appelé Gbêtou dans le quartier Kôkô. Âgé de 36 ans, M. Ouédrago est père d’un enfant. Son épouse est décédée lors de la crise de 2002. C’est avec douleur qu’il jette un regard sur ce passé noir.

Avant 2002, Ouedraogo Souleymane vivait du commerce entre Bouaké et Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, pays frontalier à la Côte d’Ivoire. Selon lui, c’est l’injustice que subissaient ses parents qui l’a poussé à prendre les armes. Car tous ceux qui avaient des noms à consonance nordique ou sous-régionale comme lui, était immédiatement mis dans le panier des étrangers. Alors que, poursuit-il, son père s’est installé en 1646 avant les indépendances. Ce qui fait de lui inéluctablement un ivoirien comme tout autre.

Après son enrôlement dans la rébellion, il est pris en embuscade par un obus entre Ferké et Katiola, où il prend 7 balles dans le corps. Il reçoit les soins d’urgence. Sa vie est hors de danger, mais il va y laisser son pied gauche. Il marche aujourd’hui à l’aide d’une canne, et des cicatrices sont visibles sur sa lèvre supérieure. Il est pris en charge par l’Autorité pour le Désarmement, la Démobilisation et la Réinsertion dans la région du Gbêkê. Il a bénéficié de la somme de 800 mille Francs Cfa, reconnaît-il.

Toutefois, cette somme, pour lui, n’est pas suffisante, car ayant servi au frais de soins. Son temps, il l’occupe également à redonner de l’espoir à plus de 86 blessés de guerre à Bouaké. Selon lui, tous se sentent abandonner par le pouvoir pour qui ils ont combattu. Leurs doléances, c’est d’être prise en charge au plan médical et de bénéficier du statut de caporal afin d’avoir des indemnités liées audit poste. En revanche, il ne cache pas son soutien infaillible et indéfectible au chef de l’Etat Alassane Ouattara, à qui il place sa confiance pour une prise en compte de leur aspiration.

« Commandant Chocho », de la rébellion à la création d’agence de sécurité

Si Ouédraogo Souleymane est sur le carreau, ce n’est pas le cas pour Bassori Barro, ex-combattant. Mais aujourd’hui patron d’une agence de sécurité à Bouaké depuis 2013. Son agence encadre 82 salariés, payés par semaine. La plupart sont des ex-combattants comme lui.

Quartier Gonfreville. Il est presque 10h. Nous sommes au siège de SBB Sécurité. Un bâtiment peint en jaune avec une légère moisissure. La cour de l’entreprise est transformée en un véritable camp d’entraînement militaire. Notre entrée coïncide avec l’exercice d’un stagiaire, Béréma Amadou. Il s’apprête à effectuer le parcours du combattant. Dans le jargon militaire, cela consiste à se frotter aux réalités du terrain par des exercices pratiques. Après le sport, il faut grimper à la corde de 100 mètres. Ensuite, ramper à travers la barrique et le grillage, pour terminer par des épreuves de musculature.

Toutes ces manœuvres militaires ont pour objectif de mieux outiller l’agent de sécurité en cas d’intervention, nous fait savoir Bassori Barro, appelé communément « commandant Chocho ». Ce surnom lui a été donné à cause de son tempérament énergique dans l’accomplissement d’une tâche. C’est un homme assez corpulent, âgé de 54 ans, et père de 9 enfants. Avant la rébellion, il était chef maçon. Sa fougue plaidait en sa faveur. Du coup il était adulé par les clients.

Enrolé pendant la crise de 2002, Bassori Barro va gravir les échelons jusqu’à occuper le poste de responsable de la sécurité du commandant Ousmane Chérif, un chef de guerre. Après une dizaine d’années, leur collaboration va prendre fin. Chérif Ousmane s’installe à Abidjan quand « Chocho » décide de rester à Bouaké, pour n’avoir pas été enrôlé dans l’armée. Depuis 2013, sa société existe de façon légale grâce à l’aide du commandant de la gendarmerie de Bouaké.

Celui-ci voyant sa bonne connaissance de l’environnement, n’hésite pas à lui confier les missions dont les forces légales sont incapables de résoudre. Son entreprise se porte bien. Il est sollicité aussi bien par les sociétés publiques et privées pour assurer la sécurité des biens et des personnes. Ex-combattant lui-même, il n’a pas oublié ses pairs. Soro Niyoli, chef de patrouille à Sbb sécurité, 36 ans et père de 4 enfants en fait partie. Il a combattu auprès de “Chocho” lors de la crise post-électorale de 2011. Malheureusement, il n’a pas pu intégrer l’armée. Pour éviter l’oisiveté, il se retourne auprès de son ancien chef, qui est Bassori Barro. Celui-ci n’hésite pas à lui donner sa chance. Aujourd’hui il estime gagner honorablement sa vie grâce à Sbb sécurité.

La situation des anciens combattants est mitigée dans l’ex-quartier général des rebelles. Même si le bruit des armes ne se fait plus attendre dans les rues de Bouaké, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur l’état des lieux des armes récupérées dans le cadre du DDR (Désarmement, Démobilisation et Réinsertion).

L’ADCI, la gardienne des armes des ex-combattants

De l’agence Sbb Sécurité, nous mettons le cap sur le siège social de l’Association des Démobilisés de Côte d’Ivoire (ADCI), situé dans le quartier N’gattakro. C’est une chaussée complètement délabrée qui nous ouvre les bras. A l’intérieur, une maison presque abandonnée dont les séquelles des balles de la période de crise restent visibles comme le soleil de midi. Dans les bureaux, pas de courant ni d’eau potable. C’est dans cette ambiance de chaleur épouvantable que nous prenons place dans le bureau du président de ladite association, Kaba Mory, qui encadre depuis 2007, les ex-combattants. Sans transition aucune, il s’ouvre à nous pour parler de long en large de cette organisation qui vient, selon lui, épauler l’ADDR dans sa mission.

Ainsi, au cours de la période de 6 mois que dure leur contrat avec l’Etat, l’ADCI a pu retirer plus de 80 armes dans les familles d’ex-combattants. Un objectif presque atteint, à l’en croire, car le contrat stipule l’enrôlement de 90 anciens combattants sur une période de 6 mois. Pour Kaba Mory, contrairement à Ouedraogo Souleymane, l’ADDR de Bouaké, a mis en place tous les dispositifs pour permettre une meilleure prise en charge des ex-combattants. Par ailleurs, il invite ceux qui n’ont pas encore déposé les armes, à se bousculer à leur porte afin de bénéficier des mesures d’accompagnement. Aussi, poursuit-il, parce que la détention illégale d’une arme est un danger pour la personne ainsi que pour les membres de sa famille.

Tout comme Ouédraogo Souleymane, M. Kaba appelle le gouvernement à poursuivre les efforts en faveur des ex-combattants qui se sont engagés à soutenir le pouvoir pour un climat de sécurité apaisé, tant à Bouaké qu’à travers tout le pays, et surtout à l’approche du scrutin d’octobre.

L’ADDR Bouaké, bilan mi-figue mi-raisin

Notre investigation va se poursuivre au bureau régional de l’ADDR (Autorité pour le Désarmement, la Démobilisation et la Réinsertion) Bouaké, situé dans le quartier huppé de Kennedy. C’est le directeur adjoint de la structure locale, Sékou Traoré dit « Leguen », qui nous reçoit à son bureau. Il nous informe que son institution a mis en place 5 programmes de réinsertion pour les 15 000 ex-combattants déjà enrôlés dans la région du Gbêkê, à savoir l’énergie solaire, les Bâtiments et Travaux Publics (BTP), l’agro-pastorale, le transport de moto-tricycle, le commerce dont la vente des pièces détachées.

Ces formations totalement prises en charge par l’Addr, sont sanctionnées par la délivrance d’un Certificat d’Aptitude Professionnel (CAP) ainsi que la remise de la somme de 800 mille F Cfa. Cette somme, poursuit-il, est plus élevée que celle réclamée par les ex-combattants au cours de l’Accord Politique de Ouagadougou (APO) en 2007 ; qui était estimée à 500 mille F Cfa. En plus, des cabinets sont chargés de suivre la mise en œuvre effective des projets de réinsertion. Toutefois, Traoré Leguen estime que nombreux sont ceux qui ne tiennent pas compte de l’environnement économique de la ville avant d’installer leur commerce. Par ailleurs, il a fait des précisions quant aux mutilés de guerre qui ne sont pas pris en compte par le processus DDR mais plutôt par le ministère de la Solidarité.

Depuis le 30 juin 2015, l’ADDR a achevé sa mission. En revanche, les soulèvements des ex-combattants à Bouaké posent encore des questions sur la réussite de cette opération.

N.B : J’ai écrit cet article il y a deux ans. Cependant il demeure encore d’actualité d’où sa republication.

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